Préface

En gros, et vous savez en physique il faut se méfier des analogies parce qu’elles sont toutes fausses. Donc je vais vous donner une analogie. Vous en retiendrez l’idée essentielle et pas tout, parce que si vous la prolongez trop, ou si vous la prenez trop au sérieux, ça vous induira en erreur. Et donc, l’analogie que je vous pose est la suivante : l’idée qu’ont ces trois physiciens – d’ailleurs ce qui est extraordinaire c’est que Higgs a publié son papier sous la même forme c’est-à-dire une page et demie de calcul, c’est à peu près le même calcul, ils ne s’étaient jamais parlés, d’ailleurs Brout est mort il y a quelques années mais Englert et Higgs qui sont des messieurs très âgés aujourd’hui se sont rencontrés pour la première fois le 4 juillet 2012 dans l’amphithéâtre du CERN quand on a présenté les résultats de l’expérience. Ils ne s’étaient jamais vus avant, même jamais écrit, ils n’avaient jamais correspondu. Ils avaient eu la même idée. Et l’idée est la suivante : c’est, imaginons que dans le vide, il y ait un champ – alors ce qu’on appelle un champ en physique quantique c’est un champ quantique… c’est un champ quantique, je ne vais pas vous expliquer ce que c’est, mais en gros, l’équivalent, en l’occurrence, d’un champ de neige, ce qu’on appelle un champ scalaire justement, c’est-à-dire un champ dont l’amplitude peut être décrite mathématiquement par un nombre simple. Pour un champ de neige, par exemple, l’épaisseur de la neige. Et bien là on va dire, dans le vide il y a un champ d’épaisseur constante, qui est le même partout, donc il est homogène, il est uniforme, l’intensité, l’épaisseur est la même en tout point de l’espace, et ce champ de neige c’est l’équivalent de ce qu’il appelle dans leur article  le champ de Higgs  et qui va s’appeler plus tard le champ de Higgs. Maintenant, les particules, et bien les particules, comme le disent les équations du modèle standard, elles ont une masse nulle, elles n’ont pas de masse. Mais elles ont des skis. Elles ont des skis. Donc les particules ont des skis, ce qui fait qu’elles glissent sur le champ de neige qui est le champ de Higgs. Et voyez que la façon dont une particule va glisser va dépendre de la qualité de ses skis. Si elle a des skis qui sont très bien fartés, elle va glisser sans frottement. Nous qui la regardons nous dirons « tiens, elle a une masse nulle et sa vitesse est égale à celle de la lumière ». On dira même l’inverse, on dira : « tiens, on la voit à la vitesse de la lumière, et vous savez qu’en physique, une particule de masse nulle va forcément à la vitesse de la lumière, donc quand on voit une particule qui va à la vitesse de la lumière on dit ‘tiens, elle une masse nulle’ ». En revanche une particule qui a des skis mal fartés, elle va glisser sur la neige avec difficulté, d’autant plus de difficulté qu’elle sera mal fartée, et il va y avoir du frottement. Ce frottement va empêcher la particule d’aller à la vitesse de la lumière. Nous qui la regardons nous dirons : « tiens, elle va moins vite que la lumière », et nous lui attribuerons une masse d’autant plus élevée que sa vitesse sera faible. Autrement dit, dans ce schéma-là, qui est génial, la masse n’est plus une propriété intrinsèque des particules, c’est une mesure de la mauvaise qualité du fartage de leurs skis.

Étienne Klein.